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Иноземцев В. За пределами экономического общества, учебное пособие. Иноземцев В. За пределами экономического общества, учебное пособ. За пределами экономического общества. Постиндустриальные теории и постэкономические тенденции в современном мире


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НазваниеЗа пределами экономического общества. Постиндустриальные теории и постэкономические тенденции в современном мире
АнкорИноземцев В. За пределами экономического общества, учебное пособие.doc
Дата13.12.2017
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ТипДокументы
#11277
КатегорияСоциология. Политология
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Conclusion


Ayant commencй ce livre par l'examen des thйories de l'histoire que les philosophes europйens ont crййes au fil des siиcles nous avons cru nйcessaire de mettre l'accent sur les deux composantes essentielles de chaque doctrine historique, а savoir: d'une part, les donnйes de fait analysйes par son auteur et, d'autre part, sa position mйthodologique qui rиleve dans une grande mesure des particularitйs subjectives de sa vision du monde. Ces deux aspects sont propres а n'importe quelle thйorie mais si les sciences de la nature ont fortement progressй dans le sens de l'objectivation de la connaissance et de l'abandon de schйmas improuvables, si ces sciences s'attachent а dйmontrer toujours plus d'йnoncйs auparavant admis comme йvidents, par contre, la dйpendance des conceptions historiques par rapport aux opinions philosophiques et aux options sociales de leurs crйateurs reste plus ou moins inchangйe depuis des siиcles. Il convient de signaler а l'attention du lecteur une de ces particularitйs subjectives, qui ne cesse de se reproduire, si parfaite que soit chaque nouvelle interprйtation du progrиs.

Ce qui distingue les thйories sociales des sciences de la nature ce n'est pas seulement que leur objet d'йtude se modifie constamment mais aussi le fait qu'elles sont elles-mкmes un facteur trиs important de sa mutation. Voilа pourquoi les nuances subjectives de la position d'auteur passent au premier plan dans les sciences sociales. A notre avis, le penchant de chaque auteur а considйrer l'йpoque oщ il vit comme celle qui marque un tournant dйcisif dans toute l'hisoire constitue un prйjugй typique, plus ou moins inhйrent а la quasi-totalitй des analyses thйoriques. Certes, aucun historien n'envisage la trajectoire du dйveloppement de la civilisation sous l'aspect d'une ligne directe et c'est vrai qu'un mouvement complexe et contradictoire vers une fin dйterminйe accuse toujours des moments fatidiques dont l'apprйhension engendre nombre de problиmes dont la portйe est souvent plus que thйorique. Ceci semble кtre d'ailleurs une ranзon а payer pour pouvoir dйpasser le cadre йtroit des conceptions

globalistes qui, mкme si elles sont libres du prйjugй susmentionnй, ne peuvent expliquer ni le caractиre authentique de l'hisoire, ni la plupart des lois gйnйrales de l'йvolution sociale.

Si diffйrentes que soient les thйories de saint Augustin et de Marx, de Hegel et des reprйsentants contemporains du postmodernisme, elles se rejoignent dans le jugement qu'elles portent sur leur propre "moment prйsent" pour autant qu'elle le reconnaissent sans l'ombre d'un doute comme le moment plus significatif pour l'hisoire de l'humanitй. Sous cet aspect-lа le progrиs s'avиre de loin plus lent qu'au niveau de la comprйhension scientifique proprement dite des lois de l'йvolution historique; on ne saurait en l'occurence faire constat de tel ou tel degrй d'avancement qu'aprиs avoir йlucidй le point de savoir dans quelle mesure le prйjugй en question procиde de la doctrine elle-mкme, jusqu'oщ il est en contradiction avec les postulats fondamentaux de cette doctrine et aussi а quel degrй les auteurs persistent dans leur attachement а ce prйjugй.

Soulignons que l'idйe de saint Augustin, selon laquelle l'йpoque allant de la Nativitй du Christ au Jugement Dernier serait en rupture avec les йtapes antйrieures liйes а la chronologie des йvйnements bibliques, йtait une idйe erronйe. Or, cette erreur йtait contenue dans la thйorie mкme а l'origine de la conception du monde contemporaine; elle remonte а moins de quatre cents ans aprиs le dйbut d'une propagation active du christianisme qui paraissait effectivement comme йtape ultime vers l'expiation des pйchйs terrestres de l'humanitй. Et comment saint Augustin pouvait-il s'empкcher de rйflйchir а la vanitй des choses d'ici-bas, alors qu'il ne lui restait que quelques mois а vivre jusqu'а la prise et la destruction par les Vandales de son Hippone natal? Pareils prйjugйs acquiиrent de nos jours une valeur toute autre. Rйapparus avec la formation des fondements de la sociйtй contemporaine ils ont connu une diffusion sans prйcйdent. Faisant fi des principes de base de leurs propres conceptions, dйtruisant leur logique interne et rejetant les arguments qu'ils avanзaient hier encore, les philosophes des diffйrentes orientations idйologiques s'appliquent а qui mieux mieux а exagйrer l'importance de notre йpoque pour le progrиs du genre humain. A noter que si а l'aube du christianisme ses pиres fondateurs oeuvraient avec ardeur а essayer de perfectionner le monde а travers le dйveloppement de l'homme, les thйoriciens de notre temps s'obstinent а considйrer comme indigne d'eux et de leur mission la tвche de rйformer les principes de l'ordre terrestre investis par Dieu dans l'вme de l'кtre humain. Ils ne tiennent pour objet adйquat de leurs nobles efforts que l'ensemble du civitas terrestris matйriel. Et voilа que les vagues successives de rйformes ainsi conзue font souffrir l'humanitй depuis plus de deux cents ans.

Milieu du XVIII-e siиcle. L'Europe entre dans l'йpoque de la Raison aprиs avoir franchi la pйriode du Haut Moyen Age pleine de contradictions extrкmement violentes, pйriode oщ les Europйens pйrissaient dans les guerres coloniales sur d'autres continents et s'exterminaient dans les

conflits religieux, oщ le Saint-Siиge encourageait les arts, tout en approuvant les mйfaits inouis de l'Inquisition, alors que le progrиs йconomique des pays protestants йtait а peine plus tangible que la crise de quelques grandes monarchies europйennes. Dans ces conditions le dйsir de rationaliser l'ordre existant, d'instaurer les rapports sociaux plus йquitables, de rйaliser pleinement les possibilitйs des sciences et des arts, de rendre l'humanitй meilleure qu'elle n'йtait, et bien, ce dйsir-lа devenait plus impйrieux que jamais auparavant dans l'histoire mondiale. L'avиnement d'une йpoque nouvelle semblait absolument inйluctable; de telles idйes йtaient avancйes non par des penseurs solitaires ni par des poignйes de comploteurs - tout le monde en parlait. Philosophes et historiens, йconomistes et hommes politiques йtaient persuadйs de la nйcessitй d'un renouveau. Les puissants de ce monde prкtaient une oreille bienveillante а leurs discours, ils rapprochaient parfois du trфne certains d'entre eux, quelques penseurs йtaient mкme associйs au pouvoir et la plupart d'entre eux jouissaient des faveurs des souverains de toutes les rйgions du continent. Que prкchaient ces hommes-lа? Sur quoi fondaient-ils leurs thйories?

Estimant que le progrиs de la raison, considйrй dans la plupart des cas en termes d'essor des sciences, des arts et des techniques, йtait dйjа suffisamment puissant pour rendre possible l'instauration d'un ordre mondial йquitable, les idйologues du siиcle des Lumiиres annonзaient avec conviction que toutes les йpoques antйrieures, а savoir les pйriodes de formation d'une йconomie sociale dйcrites par A. Fergusson et A.Smith ou les йtapes d'йvolution de l'esprit humain exposйes par J.A. de Condorcet, pouvaient кtre relйguйes dans le passй pour frayer le chemin а une civilisation rйellement nouvelle. Que fallait-il faire pour cela? La rйponse йtait йvidente: il fallait йliminer une fois pour toutes l'inйgalitй formelle, secouer les chaоnes de non-libertй, il fallait affranchir l'esprit humain, laisser libre champ au dйveloppement de l'industrie, des sciences et des arts, garantir aux hommes les droits йgaux, ce don de la grвce divine. Tels йtaient pour l'essentiel les rкves d'un siиcle qui demeure jusqu'а aujourd'hui une des pages les plus majestueuses de l'histoire europйenne. Comment parvenir а ces fins? Sur ce point aussi les philosophes йtaient quasi-unanimes: а peu d'exception prиs ils estimaient que c'est au moyen de rйformes souhaitйes et autorisйes par les monarques йclairйs que l'on verrait s'instaurer а l'йchelle mondiale un royaume de libertй, d'йgalitй et de fraternitй, et cela dans un proche avenir et sans bouleversement catastrophique d'aucune sorte.

Les objectifs dressйs par les philosophes йtaient gйnйreux. Les moyens de rйaliser les transformations semblaient clairs. Mais les souverains restиrent insensibles aux paroles sur l'йgalitй et la justice qui, de nos jours, peuvent paraоtre fort naпves. Par contre, elles furent entendues par d'autres hommes qui йtaient ouverts aux idйes nouvelles et ne pouvaient admettre qu'ils ne verraient pas de leur vivant le triomphe de l'ordre nouveau, qui

paraissait aussi йvident qu'imminent. Le rйsultat est bien connu. Au lieu de l'йgalitй si longtemps attendue les rйvolutionnaires dйclenchиrent des rйpressions sanglantes contre le peuple. La guerre civile en France avait pour toile de fond un fratricide permanent entre les clans rйvolutionnaires prisonniers des traditions de la "guerre de tous contre tous" а la Thomas Hobbes. Le carnage dura en Europe pendant presque trente ans. Quel en fut le bilan? Des centaines de milliers de morts dans tous les pays belligйrants, un ralentissement des processus йconomiques et le non-accomplissement des tвches que la rйvolution devait rйaliser et qui restaient toujours actuelles. Les rйvolutionnaires voulaient une monarchie йclairйe? Ils virent s'instaurer prиs du trфne nouveau Talleyrand et Fouchй а la place de Turgot et Calonne. Ils voulaient la libertй йconomique et la prospйritй?

En 1815 la France se retrouva dans une situation plus difficile qu'en 1789. L'idйe de libertй, d'йgalitй et de fraternitй fut-elle rйalisйe? Ces paroles restиrent gravйes seulement sur les piиces de monnaie et sur quelques monuments alors qu'aux dйpartements paysans plongйs dans la misиre s'ajoutиrent des quartiers urbains paupйrisйs du prolйtariat de manufacture.

Notons un fait caractйristique. Les puissances europйennes remportиrent la victoire sur les armйes de l'usurpateur; la dynastie retrouva son trфne et la France entra dans la pйriode de paix la plus longue de son histoire. Dиs le dйbut des annйes 20, s'annonзa une reprise йconomique, la monarchie fut abolie en 1848 et, ayant coupй court aux tentatives ultйrieures d'expйriences sociales radicales, la France se prйsente aujourd'hui comme une des puissances post-industrielles les plus йvoluйes. Mais sont-ils nombreux, ceux des Franзais contemporains qui ne vйnиrent ce mкme Napolйon lequel n'apporta а leur Patrie rien que des malheurs; y a-t-il beaucoup d'historiens disposйs а ne plus considйrer la Sainte-Alliance comme une organisation rйactionnaire dйsireuse de freiner le dйveloppement des Etats europйens? Les uns et les autres sont tout а fait minoritaires et ceci donne pas mal de matiиre а rйflexion.

Cent ans aprиs que les philosophes des Lumiиres avaient annoncй l'avиnement du royaume de la Raison on pouvait constater qu'au cours de la pйriode йcoulйe l'inйgalitй devint encore plus forte et l'exploitation encore plus intolйrable. Les anciens privilиges de la noblesse firent place au pouvoir de l'argent. Naturellement l'idйe d'йgalitй et de justice n'en devint pas moins populaire. Des philosophes nouveaux donnиrent naissance а une idйe nouvelle.

Leur conception reprйsentait cette fois-ci une apprйhension authentiquement scientifique de l'histoire. Comme beaucoup d'autres thйories prйcйdentes mais avec beaucoup plus de cohйrence et de profondeur elle envisageait le progrиs йconomique en tant que fondement de l'йvolution de l'organisme social. Se tournant vers le passй elle notait la pйriode d'enfance du genre humain, non soumise aux lois йconomiques, et

l'йpoque d'un dйveloppement extrкmement lent et des liens sociaux extrкmement faibles. En analysant le prйsent elle montrait comment et quand la premiиre pйriode avait fait place а l'йpoque de domination des rapports йconomiques dont elle rйvйlait le potentiel interne et le mйcanisme d'autodйveloppement assurant le mouvement progressif du social dans son ensemble. Anticipant sur l'avenir la thйorie marxiste argumenta pour la premiиre fois de faзon convaincante l'apparition nйcessaire d'une sociйtй appelйe communiste par les fondateurs de cette doctrine et considйrйe comme la troisiиme phase fondamentale du progrиs social; ce faisant, il йtait prйcisй que pour accйder au "royaume de la libertй" hypothйtique il fallait rйaliser des transformations йconomiques radicales imposйes objectivement par le niveau qualitativement nouveau de dйveloppement des forces productives, atteint par l'humanitй.

Ce tableau йtait, а coup sыr, plus parfait que celui prйsentй par les philosophes des Lumiиres. Il dйcrivait le cours rйel de l'йvolution historique et en rйvйlait le ressort rйel. Et quelle devait кtre la conclusion naturelle d'une telle vision de l'histoire? Que la faillite de la sociйtй йconomique йtait tout aussi inйluctable que le progrиs йconomique assurй par cette sociйtй. Que le dйveloppement des forces productives imposerait nйcessairement une transformation des rapports de production permettant de rйtablir l'йquilibre perturbй et que dиs lors commencerait la formation d'un systиme nouveau, communiste.

Mais le processus de dйveloppement des forces productives est graduel, il ne s'accomplit pas instantanйment; or la formation sociale йconomique a dйjа atteint son point culminant. Est-il vraiment inйvitable que le dйveloppement suive dйsormais une courbe descendante et ne serait-il pas plus simple de transformer immйdiatement et radicalement les fondements du rйgime social? A la suite d'une telle approche les recommandations pratiques formulйes par les marxistes se sont avйrйes fonciиrement contraires а leurs thиses thйoriques. Bien que la formation sociale de type йconomique ait durй plusieurs millйnaires, les rйvolutionnaires qui en ont dйcrit le devenir ont estimй possible d'annuler ses fondements en quelques annйes. Tout en constatant que les moyens de production contemporains ne permettaient pas de rйaliser les principes communistes de la production et de la rйpartition ils dйclaraient que les forces productives et les rapports de production йtaient dйjа engagйs dans leur ultime contradiction qui ne pouvait кtre rйsolue que par une rйvolution renversant de faзon violente le rйgime bourgeois. Et enfin, parfaitement conscients du fait que jamais auparavant aucune des classes du pфle opposй des sociйtйs asiatique, antique ou fйodale n'йtait devenue dominante dans le cadre du rйgime nouveau, ils dйclaraient avec conviction que les transformations proposйes devaient trouver leur force motrice principale en la personne du prolйtariat qui йtait la classe la plus organisйe mais aussi _ au milieu du siиcle passй _ la plus paupйrisйe et la plus aliйnйe par rapports aux rйalisations du progrиs.

On pourrait dire que mкme cette portion de poison qui permit а J.A. de Condorcet d'йviter la guillotine йtait moins en rupture avec ses idйes sur le triomphe de la raison que la thйorie de la rйvolution prolйtarienne йtait en dissonance avec les principes de base humanistes et scientifiques de la doctrine marxiste. Si les appels de l'Ami du peuple йtaient fort йloignйs des recherches philosophiques de Voltaire et de A.Shaftesbury, la rupture n'йtait pas moins grande entre les discours des rйvolutionnaires du dйbut du XX-e siиcle et les idйes fondamentales de l'йvolution sociale exposйe dans la thйorie des formations sociales. Cependant, la simplification et la primitivisation de la thйorie ont une fois de plus facilitй sa propagation et le cours des choses a en fait suivi le mкme chemin, а cette diffйrence prиs que la confrontation nouvelle ne se limita plus а la partie occidentale du continent europйen et s'йtendit au globe terrestre tout entier.

La rйvolution russe de 1917 a montrй que chaque nouveau siиcle aggravait les dangers de l'expйrimentation sociale et que les promesses des rйvolutionnaires de faire le bonheur du genre humain trouvaient leur fin comme auparavant dиs leur venue au pouvoir. Ce fut encore une guerre civile, encore la terreur et la violence ont frappй non seulement les adversaires rйels du rйgime nouveau mais aussi ceux qu'on pouvait soupзonner seulement de dйloyautй йventuelle. Ayant vaincu et aprиs avoir consolidй leurs positions les rйvolutionnaires ont dйclenchй une lutte intestine et versй une quantitй de sang telle qui aurait pu suffire probablement а faire triompher la rйvolution mondiale. L'aggravation extrкme des contradictions entre les systиmes nouveau et traditionnel ont provoquй un nouvel affrontement global et puis la guerre froide durant laquelle les tentatives des deux blocs polaires de rйaliser leurs objectifs ont engendrй des conflits sur tous les continents. Cependant les rйalitйs du XX-e siиcle rendaient impossible une victoire militaire sur le bloc de l'Est; il a fallu а l'Occident prиs de cinquante ans d'attente jusqu'а son effondrement naturel. Pour s'assurer des avantages dйcisifs dans sa confrontation йconomique avec le bloc des pays de l'Est, l'Occident a dы sortir du cadre de la production industrielle proprement dite. La dйfaite du soi-disant socialisme est apparue йvidente prйcisйment entre le milieu des annйes 70 et le dйbut des annйes 90 lorsqu'il est devenu absolument clair que ce systиme йtait incapable de mettre en place et de reproduire les structures post-industrielles. En 1989, le processus de destruction du systиme soviйtique ne faisait plus de doute et vers le milieu des annйes 90 les Etats post-soviйtiques ont en fait cessй d'exister comme une force qui compte dans l'йconomie et la politique mondiales. Au prix de dizaines de millons de vies humaines, de dйpenses d'йnergie incroyables en vue de perfectionner et de dйvelopper les armements alors que la planиte a йtй amenйe au seuil d'une catastrophe йcologique, une deuxiиme restauration globale a йtй accomplie par les forces que l'on peut qualifier de rйactionnaires du point de vue de l'ancienne logique; ce furent une dйfaite de l'idйe rйvolu

tionnaire en place et un retour au dйroulement naturel de l'йvolution йconomique et sociale.

Notons que la nouvelle restauration a sйrieusement modifiй l'attitude de l'humanitй envers les doctrines rйvolutionnaires. L'alliance militaire et йconomique des pays occidentaux qui a permis, pendant un demi-siиcle, d'entraver efficacement la diffusion du modиle socialiste de dйveloppement sur toute la planиte, ne s'assimile pas de nos jours а la Sainte-Alliance, mкme si son rфle dans l'histoire semble plutфt identique. Loin de diminuer l'importance de l'Alliance de l'Atlantique-Nord ou des autres unions politiques des pays occidentaux, ce constat permet de porter un jugement plus rationnel sur les mutations historiques antйrieures.

La rйvolution franзaise avec les йvйnements qui l'ont suivie, d'une part, et la rйvolution russe avec l'affrontement politique global du XX-e siиcle, d'autre part, sont autant de phйnomиnes fort semblables. Dans les deux cas les processus rйvolutionnaires ont procйdй des doctrines sociales nouvelles significatives du fait qu'а partir d'un moment l'йtude de la sociйtй devient un instrument de sa modernisation, et que les objectifs d'une analyse authentiquement scientifique peuvent parfaitement faire place aux tentatives de transformer la sociйtй dans l'intйrкt des groupes sociaux dйterminйs. Dans les deux cas les vagues d'un processus rйvolutionnaire rйel ont portй а la surface les personnes les moins aptes а apprйhender l'essence profonde de la doctrine dont elles se rйclamaient et qui voulaient simplement utiliser ses mots d'ordre dans la lutte pour leurs propres objectifs et intйrкts. Dans les deux cas le bouleversement politique rйussi a fait naоtre un immense tourbillon de violence orientй vers l'extйrieur mais aussi vers l'intйrieur du camp rйvolutionnaire lui-mкme, avec l'exclusion d'un ou plusieurs pays d'un dйveloppement йvolutif normal et la confrontation avec le reste du monde, pour aboutir а une fin sans gloire de l'expйrimentation, les peuples impliquйs s'йtant retrouvйs en marge du progrиs йconomique.

Mais est-ce que les idйaux de libertй, d'йgalitй et de fraternitй, est-ce que l'idйe du "royaume de la Raison" sont devenus moins attrayants aprиs 1815? C'est vrai que les meilleurs reprйsentants de la noblesse s'йtaient entretuйs alors que ses membres les plus indignes s'йtaient faufilйs jusqu'au trфne, mais est-ce que tout cela a pu rendre moins dйsirable la future sociйtй libre de distinctions de classe et de privilиges sociaux? C'est fort douteux. Est-ce que les idйes du communisme dans leur aspect positif peuvent кtre considйrйes comme complиtement discrйditйes? Est-ce qu'on peut affirmer aujourd'hui, compte tenu de l'expйrience actuelle, que le concept de sociйtй nouvelle, non йconomique, s'est avйrй inconsistant? Pas du tout. Mais cela incite а repenser cette leзon globale qui fut donnйe а l'humanitй par deux plus grands mouvements rйvolutionnaires des derniers siиcles.

Les deux rйvolutions procйdaient d'un dйsir de promouvoir une sociйtй plus йquitable. Ni une poignйe de rйvolutionnaires en 1789, ni un

groupe d'йmigrйs politiques en 1917 n'auraient rйussi а prendre le pouvoir s'ils n'avaient su exploiter trиs habilement la volontй du peuple de changer l'ordre existant. Au premier cas il s'agissait de former les bases d'une sociйtй assurant la libre entreprise et le dйveloppement des tendances capitalistes, et au deuxiиme d'instaurer une sociйtй libre de toute exploitation et non йconomique par sa nature. Au dйbut du XIX-e siиcle, la France, pays rйvolutionnaire avancй, vit s'unir contre elle les monarchies britannique et prussienne. Mais quelques dйcennies aprиs, ces pays "rйactionnaires" ne donneront-ils pas а la France des leзons combien utiles en matiиre de dйveloppement de ce mкme capitalisme que les rйvolutionnaires franзais voulaient mettre en place par la force? Et par quel moyen l'Occident contemporain l'a-t-il emportй sur l'URSS en matiиre de rivalitй йconomique, sinon par les mйthodes de formation d'une sociйtй post-йconomique que les communistes construisaient en paroles pendant des dizaines d'annйes? L'enseignement primordial des cataclysmes des siиcles passйs dont l'humanitй se doit de profiter, rйside en ceci: pour кtre rйel le progrиs ne peut кtre qu'йvolutif et toute tentative de pousser artificiellement les processus obйissant а leur dynamique objective et а leurs lois internes йquivaut а enfreindre brutalement la logique intrinsиque du dйveloppement de la civilisation. Et si mкme aujourd'hui, au bout de deux siиcles, une telle vision du vrai sens de la rйvolution franзaise n'est pas dйfinitivement acquise, les illusions relatives а la nature de la rйvolution russe se sont dissipйes dиs avant la fin de l'expйrience communiste et ceci inspire de grands espoirs.

A la fin du XX-e siиcle, l'humanitй commence а comprendre le danger et la malfaisance des bonds rйvolutionnaires radicaux; on voit apparaоtre une apprйhension d'abord confuse, puis de plus en plus approfondie de ce fait que le dйveloppement йvolutif est le gage du progrиs social le plus consйquent. Et pourtant de nos jours, alors que les pays du monde libre ne font que commencer а percevoir pleinement les rйsultats de leur victoire dans l'affrontement global, la rйvolution y est invoquйe plus souvent que jamais auparavant. Cela rйpond-il aux besoins de notre йpoque et cet йtat d'esprit ne reflиte-t-il pas la propension persistante а rйformer а tout prix, ayant convaincu l'opinion que la sociйtй actuelle ne serait que transitoire?

Certes, de nos jours, une approche pareille sera rejetйe, comme on dit, sur le champ, parce que personne ne doute que la rйvolution contemporaine _ technologique ou informationnelle _ n'est ni un analogue de l'insurrection prolйtarienne ni un prйlude а quoi que ce soit de semblable et que tout rapprochement entre eux serait dйplacй. Cependant, on ne doit pas oublier que les troubles sociaux gigantesques du passй rйsultaient non seulement des rкves des philosophes politiques mais aussi des grandes mutations technologiques et йconomiques. Est-ce que les bouleversements de la fin du XVIII-e et du milieu du XIX-e siиcles ne provenaient pas du recul de l'artisanat devant la munufacture? Est-ce que les mouvements

prolйtariens du dйbut du siиcle suivant n'йtaient pas engendrйs par les contradictions du systиme des fabriques et usines ? A notre avis les analystes qui annoncent l'avиnement d'une sociйtй post-industrielle, technetronique, informationnelle ne font que perturber les esprits, au mйpris de ce fait manifeste que le fйodalisme ne fut pas la sociйtй d'araire et de marteau, tout comme le capitalisme ne fut jamais un simple conglomйrat de machines а vapeur et de moteurs а combustion interne. Ni les sociйtйs antйrieures, ni les sociйtйs futures ne peuvent кtre dйfinies de faзon adйquate en dehors de leurs liens et rapports internes fonciиrement sociaux; pour identifier en substance les orientations du dйveloppement, on ne saurait se contenter mкme d'une description trиs complиte et trиs dйtaillйe des bases du progrиs technologique. Et la rйvolution informationnelle annoncйe aujourd'hui va dйboucher, а coup sыr, prйcisйment sur les mutations sociales probablement aussi grandes et aussi contradictoires que celles vйcues par les gйnйrations prйcйdentes.

Les optimistes peuvent dire que de nos jours font dйfaut les conditions ayant favorisй les transformations sociales radicales du passй. Il n'existe plus de classes rйvolutionnaires gйmissant sous le fardeau d'une exploitation exorbitante et n'attendant qu'un signal pour s'attaquer aux assises de l'ordre existant. Aucune thйorie prйconisant un tel changement rйvolutionnaire n'a d'audience publique tant soit peu importante. Enfin, il n'y a plus de contradictions comme celles d'avant capables de faire surgir un mouvement populaire pour le renversement de l'ordre injuste. Tout cela est vrai. Cependant, ceux qui partagent ce point de vue nйgligent une circonstance importante qui se profile de plus en plus nettement au cours des derniиres dйcennies. Cette dйmassification de la sociйtй qu'on rйduit en rиgle gйnйrale а la seule extension de la production individuelle et en petites sйries, d'une part, et а la modernisation de la consommation contemporaine _ de l'autre, s'incarne en fait avant tout dans les mutations cardinales au niveau de la conscience humaine, de la motivation de l'activitй et du comportement des hommes.

Dans ce contexte, on voit se modifier sйrieusement le rфle et la portйe de la rйvolution technologique contemporaine. Mкme sans engendrer une classe capable de combattre pour le renversement du rйgime existant, elle communique а tout un chacun des dйsirs qui se distinguent fonciиrement de ceux caractйrisant l'йpoque йconomique. Mкme sans donner naissance а une thйorie ou une idйologie nouvelle elle investit dans la conscience humaine des valeurs diffйrentes qui modifient la structure des motifs de l'activitй plus fortement que des dizaines d'annйes de propagande communiste. Et, enfin, tout en йliminant les contradictions anciennes, les mutations qui s'accomplissent de nos jours engendrent des contradictions nouvelles non plus entre les classes mais entre les diffйrents individus. Ainsi sommes-nous tйmoins d'une certaine dйsintйgration sociale dont le potentiel ne diminue pas du fait qu'elle se rйalise dans les formes йchappant а l'observateur superficiel. Dans son "Cours de philosophie positive"

Auguste Comte йcrivait que la sociologie en tant que science de la sociйtй est la plus complexe de la sйrie dans laquelle il rangeait les systиmes des connaissances humaines sur le monde; plus tard il modifiera son point de vue, en indiquant а juste titre qu'il y a une science encore plus complexe _ la psychologie, qui йtudie l'homme en tant que tel, ses sentiments et ses йmotions, ses faits et gestes. Aujourd'hui nous assistons au passage d'une sociйtй dont les lois principales se situent dans le systиme sociologique des coordonnйes, а une sociйtй oщ dominent les liens et rapports psychologiques essentiellement personnels. Et il va de soi que ce nouvel йtat de choses est plus compliquй non seulement en tant qu'objet de connaissance mais aussi comme objet de gestion.

Pour complйter ce tableau nous nous permettons de revenir а quelques problиmes dйjа examinйs.

Les utopistes qui rкvaient d'une sociйtй juste sans argent ni marchй estimaient que pour promouvoir une telle sociйtй il fallait en fait rйduire а l'esclavage toute la population. Les marxistes, soucieux de surmonter les lois du marchй, ont consacrй des dizaines d'annйes а la mise en oeuvre d'un systиme cohйrent de production et de distribution des produits. Les rйsultats sont bien connus: les illusions utopiques demeurent ce qu'elles йtaient, alors que leurs variantes libйrales firent faillite en mкme temps que le systиme d'йchanges йquitable prйconisй par R.Owen; l'йconomie socialiste planifiйe a durй un peu plus, mais, par contre, les consйquences de sa fin ont йtй plus йtendues et plus destructives. Aujourd'hui les йchanges en termes de valeur sont de plus en plus surmontйs du fait que la valeur en tant que telle devient de moins en moins quantifiable et qu'on voit s'imposer l'industrie de l'information et des connaissances йvaluйes avant tout du point de vue de leur utilitй sociale. Le facteur le plus significatif de ce processus rйside dans la modification de la nature mкme de l'activitй humaine, la propagation des motivations extra-utilitaires, le recul du travail proprement dit devant la crйativitй.

Les adeptes de la thйorie de Charles Fourier voulaient que le phalanstиre socialise jusqu'aux plus petits objets domestiques а seule fin de mettre un terme а l'exйcrable propriйtй privйe. Dans les pays d'Europe orientale les communistes ont rarement tentй de rйaliser en pratique cet idйal, mais toutefois ils ont rйussi а crйer un systиme йconomique sans prйcйdent au sein duquel l'Etat possйdait tous les moyens de production qu'il utilisait dans l'intйrкt de la bureaucratie gouvernante. Les crйateurs des thйories historiques les plus originales et les plus profondes ne pouvaient pourtant supposer que la signification йconomique de la propriйtй privйe pouvait кtre surmontйe non pas grвce а la socialisation de la production mais au moyen de son individualisation globale et multiforme. Aujourd'hui la propriйtй privйe formйe au sein de l'йpoque йconomique en tant que mйcanisme d'appropriation des biens matйriels par les reprйsentants des classes aisйes, se transforme rapidement sous l'effet des facteurs fonciиrement diffйrents de ceux qui, de l'avis des rйvolution

naires, devaient l'amener а sa fin. Le dйveloppement des technologies nouvelles a pris une orientation telle que les aptitudes et les connaissances des travailleurs, c'est-а-dire les qualitйs inaliйnables de tous les hommes, sont devenues les facteurs essentiels de la production. Simultanйment, le progrиs technique a rendu possible la possession individuelle des moyens de crйation des produits informationnels contemporains. Les propriйtaires des gйants de la production matйrielle qui, quelques dйcennies auparavant, prйdominaient dans la sociйtй, deviennent de plus en plus dйpendants des possesseurs de l'information et des connaissances survalorisйes а tel point qu'il est de plus en plus facile aux entrepreneurs nouveaux d'instaurer leur contrфle sur les empires industriels. Lа encore on est obligй de noter que c'est seulement dans les pays occidentaux que le rкve d'indйpendance des travailleurs intellectuels vis-а-vis des propriйtaires des moyens matйriels de production est devenu rйalitй, alors que dans les pays naguиre gouvernйs par les communistes l'йcrasante majoritй de la population subit la dйpendance la plus cruelle par rapport aux propriйtaires frais йmoulus des capacitйs de production et des ressources naturelles.

Durant les siиcles, tous les rйformateurs sociaux estimaient qu'on ne pouvait venir а bout de l'exploitation qu'en abolissant la classe des exploiteurs. Tout comme les chevaliers de la justice du XVIII-e siиcle, les rйvolutionnaires de notre siиcle y ont rйussi mieux que dans tout autre domaine. Il s'est cependant avйrй que l'йlimination de la classe oisive ne saurait rendre libres ni les paysans obligйs а travailler dans les conditions d'avant, ni les ouvriers tout aussi solidement rivйs aux moyens de production toujours aliйnйs mкme s'ils ne sont plus la propriйtй des capitalistes membres d'une classe "йtrangиre" mais appartiennent а l'Etat prolйtarien censй "proche". La lutte contre l'exploitation a йtй entamйe sans comprendre la substance de ce phйnomиne qui, en dehors de l'aliйnation d'une partie du produit fabriquй, dйpend de la question de savoir а quel point cette aliйnation contredit les intйrкts fondamentaux du producteur. Or, suite а la modernisation de l'йchelle de valeurs rйsultant du progrиs informationnel et d'une comprйhension plus profonde du statut du facteur principal de la production, on voit sortir au premier plan non pas le dйsir de maximiser sa richesse matйrielle mais la propension de l'individu а se perfectionner, en valorisant ses potentialitйs et en se faisant reconnaоtre au plan social. Cette mutation йlimine non pas le phйnomиne mкme d'aliйnation d'une partie du produit fabriquй mais celles de ses particularitйs qui l'identifiaient а l'exploitation. Lа encore il convient de souligner que dans les pays post-industriels dйveloppйs la redistribution des biens s'accomplit de telle maniиre que l'exploitation dans son acception classique n'exerce plus maintenant d'influence significative sur les rapports sociaux, alors que dans les Etats ex-communistes dont le niveau de vie suffisamment bas a catastrophiquement dйgradй au cours des derniи res annйes, l'idйe d'une revanche conservatrice gagne toujours plus en

popularitй prйcisйment sous les mots d'ordre d'une rйpartition plus juste de la richesse nationale.

Tous ces processus ont une substance profonde commune, а savoir la transformation du caractиre de l'activitй humaine. La rйvolution technologique contemporaine a entraоnй des transformations fondamentales: d'une part, pour la premiиre fois dans l'histoire, elle a assurй la satisfaction des principaux besoins matйriels de la majoritй des membres de la sociйtй et, d'autre part, elle a fait du perfectionnement de l'homme lui-mкme non seulement une affaire de son choix personnel mais aussi une condition essentielle de sa reconnaissance sociale, mкme si la propension а se perfectionner n'est pas encore devenue aussi puissante que l'йtait, hier encore, le dйsir d'accroоtre son bien-кtre matйriel. La sociйtй met en jeu le mйcanisme qui stimule l'individu а dйvelopper sans cesse son potential intellectuel, ce qui instaure une concurrence intellectuelle souvent tout aussi dure que celle de la propriйtй. Le processus d'auto-perfectionnement de l'individu deviendra avec le temps la dominante absolue de l'йvolution. Alors l'activitй crйative issue de la soif d'auto-rйalisation maximale viendra remplacer entiиrement le travail axй sur la nйcessitй de satisfaire les besoins matйriels. Au premier abord, la nouvelle structure sociale ne pourrait manquer d'кtre plus йquitable et plus humaniste que l'ancienne _ n'est-il pas vrai que les rйformateurs sociaux de toutes les йpoques et de tous les peuples aspiraient а ce que l'homme puisse surmonter les limites de la "production matйrielle proprement dite", а ce que soient garanties les conditions d'un dйveloppement intйgral de sa personnalitй? Pourtant il faut bien se rendre compte que les formes traditionnelles d'interaction sociale doivent faire place aux formes nouvelles dont le caractиre demeure encore tout а fait obscure. Du fait d'кtre situйs sur les plans diffйrents, les intйrкts des personnes crйatrices ne se croisent pas de la mкme faзon que les intйrкts des individus de la sociйtй йconomique; ils n'engendrent pas les contradictions qui harassaient cette derniиre, mais ils ne forment pas non plus cette rйsultante _ vecteur unique qui pourrait dйterminer l'orientation du progrиs social. Peut-on кtre sыr que les problиmes consйcutifs а cet йtat de choses ne puissent l'emporter sur les avantages de la premiиre donnйes?

A notre avis, de nos jours il n'y aurait rien de plus dйraisonnable que de prйsenter la sociйtй en maturation comme un exemple d'harmonie sociale. Surmontant les formes les plus mыres de la formation sociale de type йconomique, l'humanitй entre dans une pйriode de dйveloppement descendant de cette formation qui sera celle de dйpassement et de destruction de ses lois et tendances gйnйrales. Or, la phase de dйclin de n'importe quelle entitй sociale n'a jamais йtй une pйriode calme de l'йvolution. Le dйclin de la fйodalitй, si йvolutive que fыt l'extinction de l'influence йconomique de l'aristocratie jusqu'а son minimum, n'eut rien de paisible. Au contraire, il fut а l'origine de prиs de trois siиcles de grands cataclysmes europйens principaux. Ce n'est pas non plus sans secousses que le

capitalisme industriel traditionnel a vйcu son dйclin et s'est converti en sociйtй post-industrielle. Et si les gouvernements concernйs n'avaient pas fourni des efforts titaniques en matiиre de rйgulation anti-crise avant la guerre et s'il n'y avait pas eu de financement public des recherches scientifiques et technologiques dans l'aprиs-guerre, comment pourrait-on savoir а quoi aurait abouti l'affrontement global du XX-e siиcle. Or, nous nous engageons aujourd'hui dans une phase transitoire d'une portйe bien plus grande d'oщ tout le danger qu'il y aurait а mйsestimer les menaces latentes et le caractиre contradictoire d'une telle transformation.

Mais il y a plus. Ce qui confиre un caractиre particulier а l'йpoque contemporaine c'est le fait qu'on ignore tout de la nouvelle sociйtй qui vient remplacer l'ordre existant. Si en pйriode de destruction des assises de la fйodalitй les structures qui devaient lui succйder йtaient dйjа pratiquement mыres et n'attendaient que leur consйcration politique et des possibilitйs nouvelles pour leur dйveloppement, si dans les conditions du capitalisme йvoluй il йtait aussi assez clair quels problиmes sociaux йtaient particuliиrement dangereux et par quels moyens il йtait possible de les surmonter, aujourd'hui la situation paraоt tout а fait diffйrente. Il n'existe pas de structures sociales nouvelles; et quant aux nouveaux systиmes individuels de valeurs et de prйfйrences en cours de constitution, les formes et les orientations de leur йvolution demeurent suffisamment incertaines. Or, les institutions sociales subsistantes n'ont dans leurs arsйnaux que ceux des instrument de rйglement des contradictions et des conflits sociaux qui ont йtй utilisйs avec succиs dans la pйriode йconomique prйcйdente et qui risquent de s'avйrer aujourd'hui non seulement inefficaces mais mкme dangereux.

Il faut donc admettre que si dans les prochaines dйcennies l'humanitй est capable d'atteindre un niveau qualitativement nouveau de progrиs intellectuel et technologique, les contradictions et les affrontements sociaux peuvent aussi devenir plus violents que jamais auparavant. Il est а peu prиs certain que cette fois ils n'opposeront plus des clans ou des partis politiques, ni mкme des classes sociales. Les conflits de la nouvelle pйriode peuvent surgir d'un йcheveau complexe de contradictions apparues entre individus ou entre communautйs d'individus constituйes sur une base subjective par excellence.

Nous assistons aujourd'hui au dйpassement des assises de l'йconomie de marchй traditionnelle. L'йchange de biens en quantitйs йnormes se fait sans la moindre prise en compte des frais qui participent а la formation des prix des produits de nombreux secteurs de l'йconomie. La survalorisation de certains biens et de secteurs entiers voisine avec la sous-valorisation d'autres; la productivitй calculйe а l'aide d'indicateurs qui peuvent encore servir а l'йvaluer, semble bien plus йlevйe dans les secteurs traditionnels que dans les productions les plus rйcentes et prometteuses. Cependant les institutions de marchй continuent а fonctionner, la majoritй de la population de tous les pays dйveloppйs est impliquйe

dans le mouvement des signes de propriйtй fictifs, alors que la baisse d'actualitй des intйrкts matйriels, liйe а la mise en place des assises de la nouvelle sociйtй, n'est confortйe de nos jours que par la stabilitй d'un systиme irrationnel qui assure un niveau йlevй de bien-кtre public mais qui est rongй de l'intйrieur par ces mкmes facteurs auxquels il avait donnй la vie.

On voit s'accentuer de plus en plus la distinction entre les travailleurs intellectuels ayant accиs aux moyens de production et capables de tenir tкte aux propriйtaires des fonds fixes des compagnies industrielles en tant que partenaires а part entiиre, et les prolйtaires qui comme auparavant sont obligйs а vendre aux entrepreneurs leur force de travail. Les formes de rйalisation des droits de propriйtй deviennent de plus en plus sophistiquйes et les contraintes qui les limitent - toujours plus nombreuses; dans ce contexte, les dйtenteurs de la propriйtй privйe obtiennent des possibilitйs de perfectionner les connaissances et les technologies telles qu'elles peuvent devenir potentiellement dangereuses - en l'absence d'un contrфle social - pour la sociйtй dans son ensemble.

Jusqu'а maintenant, l'exploitation n'a йtй surmontйe que dans la conscience de cette partie de la sociйtй qui a pu accйder aux connaissances _ capital pas tellement rare а l'heure qu'il est mais fort conventionnel exigeant de l'homme des qualitйs qui ne peuvent кtre acquises aussi aisйment que la propriйtй а l'йpoque de l'accumulation primitive du capital. Avec l'orientation de plus en plus forte sur les produits informationnels on voit se dйlimiter toujours plus distinctement les groupes humains incapables de participer а la crйation de ces produits non parce qu'ils ne peuvent acquйrir les moyens techniques indispensables mais parce qu'ils sont inaptes а assimiler l'information et gйnйrer des connaissances nouvelles - tels furent leur йducation et leur apprentissage. Le rкve d'йgalitй fondй depuis le siиcle des Lumiиres sur la vision cartйsienne naпve de la conscience et de l'intelligence de l'homme comme une sorte de tabula rasa appartient de plus en plus au passй et l'amertume causйe par la perte de cette illusion peut l'emporter sur toutes les vertus d'une sociй|й appelйe а surmonter la production marchande, la propriйtй et l'exploitation.

D'autres difficultйs importantes sont liйes а la nйcessitй de s'accomoder sans cesse aux problиmes de type tout а fait diffйrent. D'une part, il y a cette tвche urgente qui consiste а utiliser au maximum les mйthodes nouvelles, post-йconomiques, de rиglement des problиmes sociaux et йconomiques internes des pays dйveloppйs alors que, d'autre part, le caractиre de leurs rapports avec le reste du monde demeure entiиrement йconomique, car dans la plupart des rйgions de la planиte prйdomine la production des biens industriels et parfois mкme agricoles et pas du tout la crйation des produits hautement technologiques et informationnels. Le problиme de l'interaction entre les secteurs post- йconomique et йconomique а l'йchelle globale acquiert une acuitй extraordinaire car aucun programme de coopйration et d'assistance conзu pour

aider le tiers-monde ne peut apporter autre chose que des rйsultats purement йconomiques. Mais tout comme dans les pays dйveloppйs les gens capables de gйnйrer des connaissances et de crйer des produits informationnels ne brыlent pas du dйsir de se faire employer aux travaux de terrassement ou de vendre des hot-dogs mais rejoignent la communautй relativement fermйe des travailleurs intellectuels opposйs а la majoritй des membres de la sociйtй, dans les pays en voie de dйveloppement aussi la plupart des chercheurs et spйcialistes de talent aspirent а s'associer а ce groupe non pas dans leur pays natal oщ il n'y en a pratiquement pas mais dans les pays йvoluйs. C'est pour cette raison prйcisйment que la part du potentiel intellectuel du tiers-monde n'excиde pas de nos jours cinq pour-cent du potentiel intellectuel global de l'humanitй et elle continue а diminuer. Ainsi la frontiиre sйparant les travailleurs intellectuels et le reste de la sociйtй se forme-t-elle non seulement dans le cadre de certains pays distincts mais encore а l'йchelle mondiale et il n'est pas possible de rйsoudre cette contradiction par les seules mйthodes йconomiques.

Donc, il est peu probable que les assises de la nouvelle sociйtй puissent s'affirmer sans heurts ni problиmes. Au contraire, les cataclysmes sociaux concomitants peuvent s'avйrer fort dangereux. Leur posssibilitй pourrait devenir rйalitй lorsque dans un des domaines, que ce soit le dйveloppement des tendances de marchй, l'йvolution des rapports de propriйtй ou la modernisation des structures de classe, apparaоtra une situation oщ le contenu nouveau, non йconomique, des processus sociaux et йconomiques profonds entrera dans une contradiction violente et insurmontable avec les formes йconomiques de leur rйalisation. L'йmergence d'une discordance aussi violente et la destruction consйcutive de la forme йconomique concernйe risquent d'entraоner des consйquences extrкmement graves pour tout le social dans son ensemble car une telle destruction йquivaudra а l'effondrement de l'ordre antйrieur en l'absence de principes unissant effectivement la sociйtй aussi bien qu'en l'absence de tendances centripиtes, suffisamment manifestes mкme а l'йpoque йconomique.

Existe-il une possibilitй d'йviter de tells scйnarios et le passage а l'йtat post-йconomique peut-il s'accomplir sans trop de mal? Certes, il est de nos jours impossible de donner une rйponse univoque а ces questions. Cependant, а partir de ce qui vient d'кtre dit, on peut formuler quelques conclusions gйnйrales.

Premiиrement, on ne doit pas confondre la rйvolution technologique contemporaine avec une rйvolution sociale; au contraire, il convient de souligner leur sйparation, leur caractиre parallиle et l'absence de dйpendance rigide entre l'un et l'autre processus. On peut mкme affirmer dans une certaine mesure que la sociйtй contemporaine aurait intйrкt а ralentir quelque peu toute une sйrie ds processus йconomiques et sociaux qui aggravent tout particuliиrement le dйcalage entre les assises profondes de l'organisation sociale et la forme йconomique de la rйalisation desdits

processus. La mise en oeuvre des mesures en ce sens pourrait retarder l'йclatement d'un conflit radical capable de dйtruire l'йquilibre social.

Deuxiиmement, sachant que de telles mesures peuvent donner un effet trиs relatif sinon illusoire il convient d'йvaluer les possibilitйs de perfectionnement des structures йconomiques contemporaines. Il s'agit de les dйbarrasser de certains de leurs signes parmi les plus fйtichisйs et qui deviennent en mкme temps de plus en plus fictifs. Ce sont avant tout les formes contemporaines du capital financier, la survalorisation de diffйrents secteurs et compagnies et la propagation excessive des signes de propriйtй derriиre lesquels il n'y a pas d'йlйments rйels de la richesse sociale, et ainsi de suite. La hausse de la valeur monйtaire des actions des compagnies industrielles qui dure depuis vingt ans dйjа et qui s'amplifie et s'accйlиre sans commune mesure avec l'essor de la production, reflиte partiellement en soi-mкme la destruction des principes d'йchange fondйs sur la valeur, alors que l'optimisme historique des sociologues anticipant sur la formation d'une йconomie "hors marchй" risque d'кtre йclipsй par les consйquances de l'effondrement йventuel des bourses, dont pвtira la majoritй йcrasante de la population.

Troisiиmement, il convient d'approfondir la question des systиmes nouveaux permettant d'agir effectivement sur le comportement des individus pour lesquels les valeurs йconomiques sont de moins en moins attrayantes. La formation des systиmes nouveaux de rapports sociaux permettant aux institutions centrales de la sociйtй d'exercer une gestion efficace des individus dont l'activitй n'est plus motivйe par des considйrations utilitaires, reprйsente actuellement la condition la plus importante pour garantir dans les prochaines dйcennies cette stabilitй sociale sans laquelle l'avиnement de la nouvelle sociйtй peut s'avйrer impossible.

Quatriиmement, il convient de procйder а la crйation d'un systиme efficace susceptible de prйvenir l'extension d'un affrontement nouveau engendrй par la division de la sociйtй en ceux qui possиdent des connaissances et des technologies informationnelles et ceux qui en sont privйs, l'activitй des uns et des autres йtant rйgie respectivement par les motivations non matйrielles ou matйrielles. Il faut pour cela apprendre а combiner au cours d'une pйriode historique prolongйe les mйthodes йconomiques et non йconomiques d'action sur les hommes, et ceci tant au niveau des diffйrentes nations post-industrielles qu'а l'йchelle mondiale.

Dans le contexte de ces conclusions nous devons souligner que les tendances qui rйsultent de la dynamique des processus sociaux au cours des derniиres dйcennies ne sont pas nйcessairement vouйes а un prolongement et а un dйveloppement sous une forme directe. Nous ne sommes pas а mкme de dйfinir avec prйcision les perspectives qui attendent l'humanitй mais nous pouvons affirmer que la transition а la civilisation post-йconomique qui commence de nos jours dans le contexte d'un triomphe du savoir, sur la vague d'un optimisme historique sans prйcйdent, ne se fera pas facilement. Les attentes et espйrences nouvelles auront pour cor

rolaire la destruction des notions, des valeurs et des prioritйs anciennes; aujourd'hui cela peut paraоtre incroyable mais est-ce que les Romains pouvaient supposer lorsqu'ils glorifiaient Marc Aurelius, ce philosophe auguste, que leur empire n'avait plus а vivre que deux siиcles ? En ouvrant la page nouvelle de l'histoire on ne doit pas sous-estimer les difficultйs d'une sйparation avec le passй, avec l'йpoque gйante qui йtait dure et injuste mais en mкme temps brillante et splendide; йpoque incarnant un trajet unique dйjа franchi par l'humanitй. Oui, а cette йpoque la crйation йtait l'apanage d'une minoritй infime mais il n'en reste pas moins vrai que les rйalisations culturelles sublimes qui forcent l'admiration de l'humanitй contemporaine ont vu le jour prйcisйment grвce а la crйativitй; de mкme que la noblesse n'йtait pas le fait de nombreuses personnes mais elle restera gravйe dans la mйmoire de tous les humains comme un trait spectaculaire du passй; le drame des rйvolutionnaires йtait sans issue parce que leurs idйes ne pouvaient assurer а la sociйtй un progrиs rйel, mais ceci ne diminuait pas le nombre d'explorateurs d'un avenir meilleur.

Pas une seule tentative de transformation rйvolutionnaire du monde n'a abouti а un succиs durable malgrй le caractиre plutфt local des objectifs proclamйs par les pionniers. Or, aujourd'hui l'humanitй dйpasse les limites de l'йpoque йconomique en surmontant les intйrкts matйriels qui gouvernaient le monde auparavant; mкme Dieu ne le prйvoyait pas lorsqu'il prйdisait que l'homme gagnerait йternellement son pain dans la sueur de son front. Par ailleurs toutes les tentatives des humains de transformer ce monde par des actions brusques et radicales se heurtaient aux lois profondes de l'йvolution sociale qui ramenaient la civilisation dans sa voie de dйveloppement naturelle; nous espйrons qu'il en sera ainsi demain encore. C'est ce qui reprйsente le fondement principal voire unique de cet optimisme avec lequel nous continuons d'envisager l'avenir. Et la question de savoir ce qui viendra avec l'avиnement de la nouvelle sociйtй n'a qu'une seule rйponse (suggйrйe par la chanson d'une Moscovite):

Et viendra avril...,

de mкme que la question de savoir ce qu'il faut faire aujourd'hui, а la veille des changements, _ et il faudra vivre

Et se faire des petites robes d'indienne

Et surtout кtre certaine

Qu'on pourra les porter, _

N'est-ce pas lа dйjа une raison d'exister?





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